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C'est une histoire étrange qui doit beaucoup à ce que l'on appelle les 'hasards de la vie'. C'est une histoire que je n'ai racontée qu'à quelques intimes depuis lors.

Nous sommes en novembre 1989. A l'époque, je suis un jeune journaliste débutant. Souffrant de migraines atroces et persistantes, comme ma mère, je suis placé pour quelques jours en observation à l'hôpital Molière, à Forest. Après les examens d'usage, je me retrouve alité dans une chambre commune avec, si je me souviens bien, six lits.

Dans le lit qui me fait face, un vieil homme, tout fripé et abîmé par la vie. Si son corps paraît fatigué, son regard pétillant brille de malice et, rapidement, nous sympathisons. Il me parle de son amour pour le Bruxelles d'antan, du théâtre, des comédiens et de la vie d'artiste. De sa solitude et de son sentiment d'abandon, aussi.

Il est intarissable et je suis fasciné par sa gouaille et ses anecdotes, plus savoureuses les unes que les autres. Je me délecte de sa compagnie qui fait passer le temps un peu plus vite dans cette chambre triste où chaque minute paraît des heures.

Je lui demande si sa famille et ses enfants vont passer le voir. Il me dit qu'il ne voit plus ses enfants depuis longtemps et qu'il l'a bien mérité. Son oeil se mouille. Par pudeur, je ne cherche ni à comprendre, ni à en savoir plus...

Pendant la deuxième nuit de mon séjour à l'hôpital, je suis réveillé en sursaut par du bruit dans la chambre. Dans la pénombre, je vois des infirmières s'affairer autour du lit d'en face. Dans mon demi-sommeil, je devine des brancardiers qui mettent le patient sur une civière avant de l'emmener.

Le lendemain, son lit restant désespérément vide, je prends des nouvelles de mon compagnon de chambre auprès d'une des infirmières. "Monsieur Smet? Il est décédé cette nuit. Vous saviez que c'était le Papa de Johnny Hallyday?"

Depuis, j'avais rangé cette histoire dans les tréfonds de ma mémoire et elle m'est revenue aujourd'hui, jour de l'annonce du décès de son fils.

(Lucien Brocas/Picture : Belga)