Le grand bug de l'appli de 'tracing' belge
On le sait depuis la conférence de presse (ratée) de vendredi dernier: pour accompagner son déconfinement progressif, la Belgique n'aura pas d'application de contact tracing. Les autorités ont en effet préféré baser leur stratégie de tracing sur le travail d'enquêteurs dans des call centers. Crédible?
Disons le d'emblée : c'est le courage politique, une denrée rare depuis le début de la pandémie, qui a manqué, personne n'osant prendre le risque de défendre une appli critiquée avant même sa naissance dans les médias et la population. Si des pays ou territoires comme Singapour ont ouvert la voie, en Europe occidentale, on est plus méfiant, car la protection des données et de la vie privée ne se brade pas sur l'autel de l'efficacité.
En Belgique, dès le début de ce débat, le ministre Philippe De Backer est gêné aux entournures, car, le contact tracing est une compétence régionale et communautaire. Faut-il refiler la patate chaude? Avec les masques, les respirateurs et les tests, son cabinet en a déjà plein les pieds.
72 applications sont proposées à ses conseillers, qui en retiennent finalement une dizaine mi-avril. Mais il faut aussi définir un cadre juridique pouvant encadrer ce type d'application, totalement inédit. De la dynamite politique. Rapidement, le torchon commence à brûler. Ecolo/Groen en tête, des voix s'élèvent contre la future application. Même l’OpenVld, parti du ministre De Backer, rechigne.
Les discussions s'éternisent et le 23 avril l'application de contact tracing est finalement jetée aux oubliettes de l'histoire. Le ministre demande aux régions, faute d’accord au Fédéral, de reprendre le dossier en main. Elio di Rupo enterre à sa façon la modernité lors de la conférence de presse. Les développeurs des derniers projets encore en lice sont renvoyés à leurs chers codes, le projet rangé au frigo. "Un call center, ça ne fait peur à personne", dit-on en coulisses, car pas une tête ne dépasse pour assumer l'impopularité d'une solution de tracing plus intrusive que l'inoffensif central téléphonique.
Des semaines de travail et de palabres pour finalement renoncer devant l'obstacle. Pendant ce temps, nos voisins européens sont quasi tous sur le point d’activer leur application nationale anti-Covid. Etait-il vraiment impossible de trouver un accord qui respecte à la fois la vie privée et les objectifs de santé publique? Une application bien conçue aurait-elle pu être un des rouages d’une stratégie globale de déconfinement? On ne le saura jamais...
(Fred Lebon avec L'Echo - Picture by David Dvoracek via Unsplash)