Après avoir fait naître des espoirs démesurés dès sa première participation au Giro, Remco Evenepoel et ses nombreux supporters sont brutalement revenus sur terre après au bout de deux semaines de course. Mais la déception ressentie n'est-elle pas à la mesure de notre propre impatience? Analyse...
Tout avait pourtant bien commencé avec un prologue inespéré et une première semaine globalement bien maîtrisée. Mais la petite perle du cyclisme belge a connu un premier raté sur l'étape des Strade Bianche, juste après la première journée de repos, avant d'exploser complètement dans l'étape du Zoncolan, un peu, et dans celle de Cortina d’Ampezzo, complètement. Une chute dans l'étape de mercredi, vers Sega di Ala, a fini par provoquer l'abandon d'Evenepoel, qui a quitté la course sur la pointe des pieds, mercredi soir.
Au-delà de la légitime déception, comment expliquer cet échec relatif et quelles sont, à l'analyse, les faiblesses qui sont apparues au grand jour chez Evenepoel, après deux semaines d'une compétition impitoyable?
1. Son manque de compétition
Neuf mois après la terrible cabriole qui lui a valu une fracture du bassin sur le Tour de Lombardie, trois mois après avoir repris la compétition, Remco Evenepoel s'est présenté au départ de ce Giro sans le moindre jour de course au compteur. Le défi était donc de taille pour un coureur de 21 ans, qui malgré des qualités athlétiques évidentes, n'avait jamais disputé de course de 3 semaines jusqu'ici.
Comme le disait Axel Merckx dans la chronique quotidienne qu'il partage avec son Cannibale de père dans Het Nieuwsblad, "ce qui s'est passé est logique quand on connaît les lois du cyclisme. (...) Il n'avait plus disputé de compétition depuis 9 mois. Et un Grand Tour reste un Grand Tour."
N'était-il pas un peu présomptueux de mettre le Giro à son agenda? "C'est toujours facile à dire après (...) mais je lui aurais recommandé le Dauphiné ou le Tour de Suisse", explique Merckx Junior, partisan d'un retour à la compétition plus graduel pour Remco.
2. Des progrès à accomplir
Mais ces quinze jours de course auront aussi mis en évidence les faiblesses de Remco dans certains aspects spécifiques du métier de cycliste professionnel. Evenepoel est un diamant brut qui reste à polir. C'est ce que dit d'ailleurs Eddy Merckx, avec son bon sens habituel quand il affirme qu'Evenepoel "devra s'améliorer dans beaucoup de domaines pour gagner un Grand Tour".
Habitué à partir seul dès les premiers kilomètres des épreuves auxquelles il participait dans les catégories de jeunes, Evenepoel n'est pas rompu aux subtilités de la course en peloton. Or, sur une épreuve de 3 semaines, chaque erreur de placement, chaque coup de frein inutile, chaque cassure, chaque relance de trop est un effort qui se paye cash sur le long terme. Dans un peloton, les risques de chute et les frayeurs provoquées par les autres coureurs sont une forme de pression épuisante qu'il faut gérer au quotidien. Egan Bernal l'a parfaitement compris, lui qui roule en permanence dans les dix premières positions, parfaitement protégé par ses équipiers.
Mais, il faut aussi rappeler que Remco-le-surdoué est un coureur qui a brûlé certaines étapes, en sautant les catégories de jeunes, "où l'on apprend les règles de base du cyclisme", explique Axel Merckx.
Fougueux et ambitieux, Evenepoel a peut-être aussi gaspillé des cartouches dans la première semaine en disputant les bonifications et en faisant des efforts inutiles. "Je crois qu'il a sous-estimé le Giro. En soi, ce n'est pas grave. Maintenant, il sait, comme l'a dit Patrick Lefevere qu'en cyclisme, il n'ya pas de miracles", conclut Eddy Merckx.
Enfin, autre faiblesse patente de Remco, les descentes où il devra faire de gros progrès. Plusieurs fois lâché dans cet exercice (comme au Tour de Lombardie, d'ailleurs) et sans doute bloqué psychologiquement, il est complètement sur la défensive dans ce secteur et obligé de prendre des risques. Sa chute dans la descente du Passo Valentino est une démonstration éclatante de ses manquements techniques dans ces phases cruciales des étapes de montagnes. De nombreux spécialistes estiment d'ailleurs que d'autres coureurs ne seraient pas tombés à cet endroit, qu'il y avait du temps et de l'espace pour passer à la gauche de Gallopin dans ce virage.
3. Une équipe pas adaptée
Pour gagner un Grand Tour, il faut également être bien entouré et disposer d'une équipe entièrement dévouée à la cause d'un leader unique.
Ce n'est pas faire injure aux équipiers d'Evenepoel que de dire qu'ils n'ont pas tout à fait le niveau pour pareil objectif, d'autant qu'ils avaient à encadrer un patron très jeune et particulièrement inexpérimenté. Même s'il y a eu un mieux après une bonne semaine de course, on a souvent senti Evenepoel isolé. Rémi Cavagna, Mikkel Frölich Honoré, Iljo Keisse, James Knox, Fausto Masnada et Pieter Serry, ça n'a rien de comparable avec l'armada Ineos.
Autre point crucial: les tiraillements avec Joao Almeida qui, sensé être un lieutenant en montagne et une solution de rechange, s'est révélé au final être un leader frustré s'épanchant dans la presse. Ce qui n'a pas contribué à resserrer les boulons au sein de la Deceuninck-QuickStep.
Dans le futur, pour espérer gagner un Giro ou un Tour de France, Evenepoel devra disposer d'une 'dream team' d'un autre niveau. Pas sûr que cela soit possible dans les circonstances actuelles et avec les incertitudes autour des sponsors de Patrick Lefevere. On l'oublie parfois, mais les coureurs de Grands Tours, capables de se sacrifier entièrement pour leur leader, comme Filippo Ganna ou Daniel Martinez, coûtent autant d'argent, sinon plus, qu'un bon spécialiste des classiques.
Rappelons enfin que gagner un Grand Tour n'est pas vraiment l'expertise de Patrick Lefevere, spécialiste des classiques. "Vous pouvez construire une équipe ou acheter une équipe", a-t-il expliqué avant le départ de ce Giro. "Je sais qu'une équipe de Grand Tour coûte de l'argent. Tout le monde sait qu’un vrai grimpeur qui était presque un leader dans le passé mais qui a décidé de se mettre au service de quelqu’un pour gagner un Tour est très cher."
Toute la question est donc de savoir si Patrick Lefevere a envie de construire une équipe de ce type autour de Remco et surtout, s'il en a les moyens.
4. Une communication à reculons
Autre point qui peut faire débat après cette première expérience au Giro : la communication de Remco et de son équipe.
Eddy Merckx, persuadé qu'Evenepoel peut devenir un grand champion, a émis des réserves sur son utilisation parfois compulsive des réseaux sociaux et sur son amour immodéré des feux médiatiques.
Sur ce Giro, la communication d'Evenepoel a souvent ressemblé à une progression à reculons : "Je suis venu pour gagner" est vite devenu "Je vais me battre pour le podium" avant de se transformer en "Je ne suis qu'à une minute du top 3", puis en "Je vais essayer de rester dans le top 10" et pour finir en "Je vais essayer d'aller au bout de ce Giro".
Avec un peu de recul, cela ressemble à un grand couac et nul doute qu'il faudra sans doute confier la com' du champion à des professionnels et apprendre à Remco à se taire. Car, à trop parler, on peut finir par se ridiculiser
5. Nous sommes tous un peu responsables
Enfin, comment ne pas évoquer, alors que le soufflé est complètement retombé, notre propre engouement, l'emballement médiatique démesuré et les attentes énormes autour de Remco en Belgique? La presse, les commentateurs et les fans en ont sans doute fait trop. Le rêve était si beau et nous nous sommes sans doute tous pris au jeu de façon un peu exagérée. La Belgique attend un vainqueur de Grand Tour depuis 1978 et Johan De Muynck. Ici aussi, il faudra faire preuve d'un peu de patience...
Car si Evenepoel à encore du travail, ses adversaires ont du souci à se faire...
(LpR/Picture : Twitter)
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