Le 'Ronde', la dernière messe des croyants flamands
C'est au pied des monts que l'on reconnaît le champion. En Flandre, plus que n'importe où ailleurs, tout coureur qui s'impose dans le Ronde obtient immédiatement son visa pour le paradis des champions. Dimanche, ils seront des millions à prier pour pouvoir vénérer une nouvelle icône. Douze ans qu'ils attendent un successeur à Tom Boonen, car Philippe Gilbert, vainqueur en 2017, n'était pas un vrai Flandeien...
Comme partout en Belgique, la foi et la fréquentation des églises sont en net recul en Flandre. Mais il est un culte auquel le pur Flandrien ne renoncerait pour rien au monde. Chaque année, le premier dimanche d'avril, dans la ferveur montante de Pâques, ils sont des milliers à se rassembler dans la plus grande église à ciel ouvert du monde. Dès l'aube, les fidèles se massent pieusement le long du parcours du Tour des Flandres. Et même la pandémie na pas perturbé ce rituel ancestral...
Oubliant leurs prie-Dieu, c'est dans un transat, sur une chaise pliante ou devant leur téléviseur que les fidèles égrènent avec les coureurs le chapelet des 17 monts qui rythment le tracé de la course, comme autant de stations d'un parcours christique. Kattenberg, Vieux Kwaremont, Kortekeer, Eikenberg, Wolvenberg, Leberg, Berendries, Valkenberg, Kanarieberg, Paterberg, Koppenberg, Steenbeekdries, Taaienberg et Kruisberg sont les stations d'un chemin de croix de six heures sur les pavés et les bergs flamands et l'élu pourra lever les bras en Terre Sainte, à Audenarde. Amen.
"Il n'y a que ceux qui sont au top de leur condition qui peuvent dire que cette course n'est pas difficile. Pour tous les autres, c'est un vrai chemin de croix", disait en son temps Andrea Tafi, vainqueur du Ronde en 2002 et dont la parole a valeur d'évangile.
Dimanche matin, sur la ligne de départ, ils seront plus de 200 à épingler un dossard et à allumer un cierge dans l'espoir de succéder au palmarès à Tadej Pogacar. Des tréfonds de la Flandre Orientale aux moindres recoins de la Flandre Occidentale, chaque supporter défendra pour un jour sa propre chapelle et ses propres saints. Mais c'est du fort contingent de coureurs flamands que tous espèrent voir surgir le vainqueur de cette 106ème édition. Les routes empruntées sont celles de leurs entraînements, ils en connaissant le moindre virage, le plus minuscule piège, le plus infime changement de vent. Car le parcours du Ronde et ses secteurs stratégiques séculaires écrivent un catéchisme qui s'apprend au fil des éditions, un dogme auquel on se plie avec une persévérance monacale. Peter Van Petegem, deux Ronde à son actif, considérait toutes les autres courses de la saison comme de simples entraînements pour le Tour des Flandres.
Le Ronde, c'est une liturgie (quasi) immuable, que certains coursiers flahutes peuvent réciter par coeur. Ce n'est pas un hasard si, en 104 éditions, les coureurs du cru se sont imposés 69 fois. Paradoxalement, le dernier vainqueur Belge du Ronde est un Wallon, Philippe Gilbert (2017), le seul Belge francophone à s'être imposé sur ce monument du cyclisme avec le regretté Claude Criquelion (1987).
Gilbert retraité, les champions qui s'attirent les louanges dans le nord de la Belgique s'appellent Wout Van Aert, forfait, Jasper Stuyven, Yves Lampaert, Dylan Teuns, Tim Merlier, Tim Wellens ou Tiesj Benoot. Tous se mettraient à genou pour communier avec le peuple flamand et échangeraient tout leur palmarès pour entrer dans le saint des saints.
Enfin, la course ayant déjà révélé son lot de (relatifs) inconnus, certains vouent déjà un culte à Brent Van Moer, Sander De Pestel, Gianni Vermeersch ou Jordi Meeus, tous capables de toucher le graal mystique s'ils connaissent un jour de grâce.
La météo, que l'on annonce relativement clémente, pourrait malheureusement favoriser les plans des mécréants étrangers. Un dévot venu d'ailleurs hante les cauchemars des croyants belges, qui se signeront compulsivement à tous les carrefours stratégiques de la route. Cet infidèle s'appelle Mathieu van der Poel,le Champion du Monde néerlandais rêvant de succéder à Louison Bobet (1955), Rik van Looy (1962), Eddy Merckx (1975), Tom Boonen (2006) et Peter Sagan (2016), qui ont remporté la course avec le maillot arc-en-ciel sur les épaules.
Mais comme toujours en pareilles circonstances, des surprises pourraient s'inviter dans la sainte écriture d'un scénario trop bien huilé. On se méfiera donc des outsiders étrangers comme Jorgenson, Pedersen, Asgreen, Lazkano, Küng ou Bettiol qui n'ont qu'un seul défaut aux yeux des adorateurs du Ronde : ils ne sont pas Flamands...
(LM/Picture : Pixabay)