Née un 8 décembre : Sinéad O’Connor, Dieu lui a donné la foi
Contrairement au cours du paisible Liffey qui traverse sa ville natale de Dublin, la vie de la chanteuse ayant vu le jour en 1966 est loin, très loin même, d’être un long fleuve tranquille
Son second prénom Bernadette lui est donné par ses parents en référence à Sainte Bernadette Soubirous qui a affirmé toute sa vie avoir assisté à dix-huit apparitions de la Vierge Marie à Lourdes (France) au milieu du 19ème siècle. Dès sa naissance, la vie de la petite Sinéad est ainsi placée sous le signe de la religion. Ou plutôt, comme on le verra plus tard, des religions au pluriel. Car l’artiste a plus d’une fois changé de chapelle sion peut ainsi dire…
Selon son témoignage ultérieur, Sinéad a vécu une enfance traumatisante sous la férule d’une mère abusive et violente. "Avec les coups qu’elle me portait notamment sur le sexe, elle a complètement détruit mon rapport à la sexualité" racontera-t-elle plus tard. Sa chanson "Fire On Babylon" sur l’album ironiquement intitulé "Universal Mother" en 1994 relate cet épisode douloureux.
A l’adolescence, elle obtient de rejoindre son père divorcé mais la tête brûlée qu’elle était déjà accumule les petits larcins et additionne un absentéisme scolaire réellement abyssal. Résultat, elle est placée dans un couvent où, une fois encore, ce ne sera pas rose tous les jours. "Je n’ai jamais vécu dans un tel état de souffrance et de terreur" dira-t-elle plus tard. Seul point positif, elle y apprend néanmoins la musique et l’écriture.
Lorsqu’elle débarque à Londres au milieu des années 80, sa voix exceptionnelle et son talent d’écriture ne mettent d'ailleurs pas trop de temps à se faire remarquer. Epaulée par son compatriote The Edge, guitariste de U2, elle co-signe "Heroine" pour le film "Captive" en 1986. Grâce notamment aux singles "Mandinka" et "Troy", son premier album "The Lion And The Cobra" en 1987 donne naissance à une artiste majeure. Trois ans plus tard "I Do Not Want What I Haven’t Got" la place sur orbite. Etrangement, c’est avec "Nothing Compares 2 U" (une reprise infiniment supérieure à celle de Prince, son interprète original) qu’elle obtient son plus grand succès populaire.
Foncièrement anticonformiste et mal à l’aise dans ses nouveaux habits de star, toujours guidée par une honnêteté certes abrasive, Sinéad continue de ruer dans les brancards. Et elle continuera de le faire toute sa vie. En 1994, le magnifique et très personnel "Universal Mother" clôture un chapitre. Toujours tiraillée par ses démons mais aussi titillée par sa soif de piété et d’absolu, elle annonce même se retirer de la vie publique.
Lorsque je la retrouverai pour une interview quelques années plus tard, en 2000, un peu avant la sortie de "Faith And Courage" à Dublin, elle porte un col clergyman et vient pei avant d'être ordonnée prêtre de la microscopique "église irlandaise orthodoxe, catholique et apostolique", une des seules qui accepte d'ordonner des femmes. Suite au scandale à répétition des abus d’enfants dans l’Eglise, elle prendra ses distances quelques années plus tard. Après avoir néanmoins sorti un album intitulé "Theology" en 2007. Toujours en quête de vérité, elle se sent d’abord attirée par le Bouddhisme (elle écrit même "The Vishnu Room" en 2014) puis se convertit à l’Islam en 2018, prend le nom de Shuhada Davitt et diffuse même une photo d’elle portant le hijab suscitant une fois des réactions en sens divers bien loin de la musique.
Parallèlement à cette recherche spirituelle, la chanteuse a conservé jusqu’au bout ce timbre de voix unique qui^, en plus de ses propres compositions, lui aurait permis de chanter psaumes, sourates ou le dhammapada et même l'annuaire téléphonique en provoquant les mêmes frissons.
Malheureusement, Sinéad O’Connor qui souffrait de problèmes psychiques chroniques (et on peut comprendre pourquoi) nous a inopinément quitté en juillet 2023. Si son décès a été qualifié de "naturel" par la police londonienne, on se souviendra cependant qu’elle avait commis deux tentatives de suicide en 2007 et en 2015. Malgré le caractère tragique de son existence, l’artiste nous a laissé un chapelet de chansons émouvantes et déchirantes…
(AK - Photo : © Etienne Tordoir
Photo : Sinead O’Connor sur la scène de Forest-National à Bruxelles (Belgique) le 29 octobre 1990